Quels fantasmes et réalités la cabane traduit-elle ?

Un objet unique et polymorphe, à forte puissance évocatrice
Quand on pense aux cabanes, on se rappelle d’abord celles de notre enfance, celles que l’on a construites ou rêvées, qu’elles soient un drap tendues entre deux chaises, ou une fantastique construction dans les bois … On pense aussi à des récits, à Giono, ou au Robinson Crusoé de Delfoe, archétype de vie sauvage… En effet, la cabane a une très forte puissance métaphorique, et c’est cela qui nous attire.
« La cabane est une halte sur la trajectoire de nos rêveries », écrit Gilles A. Tiberghien dans son dernier ouvrage De la nécessité des cabanes (Bayard, 96 pages, avril 2019)
Son lien poétique et harmonieux avec la nature séduit, entre autres, de plus en plus de touristes. Selon Tiberghien, « la cabane brouille le rapport intérieur/ extérieur », « elle est dans la nature et elle en étend indéfiniment l’espace« . Elle « ne nous abrite que pour mieux nous exposer au monde ».
La cabane a survécu à la modernité par son unicité et son pouvoir évocateur d’imaginaire et de liberté. En cela, elle est atemporelle.
Sa construction n’obéit pas à un ordre stricte, elle déroge aux règles et normes juridiques qui pèsent sur l’architecture. Aussi, elle dépend des matériaux trouvés sur place, du lieux et de ses ressources. « Construite une première fois, elle ne peut, une fois détruite, être refaite à l’identique. » (Tiberghien). Chaque cabane est unique, ce qui est précieux dans notre monde standardisé.
Des artistes, voyant le « geste » de cabane comme un symbole de liberté créative, récupèrent, accumulent et assemblent les rebuts de la société pour créer des constructions extraordinaires (lemonde.fr). La cabane, par son rappel de l’enfance, appelle aussi au jeu, en se jouant des formes, des couleurs, et de la société, aussi !
Par exemple : Terunobu Fujimori (1ère image), ou alors Richard Greaves, connu pour ses constructions semblant sur le point de s’effondrer, qui » fraient avec l’utopie et défient les lois de la pesanteur. Célébrant l’asymétrie et bannissant l’angle droit, elles font voler en éclats les normes et les principes de construction. » (artbrut.ch)

La cabane, signe d’un refus d’un monde standardisé
Ces constructions peuvent donc témoigner d’un certain refus de normalité, d’un déni des normes sociales, tel Côme, dans le Baron perché d’Italo Calvino, préférant vivre dans les arbres, ou Henry David Thoreau, dans son roman Walden, qui part vivre en autarcie dans sa cabane. D’ailleurs, plus qu’un refus, il s’agit pour eux d’un retrait au monde. Mais les cabanes qui nous intéressent sont celles qui, comme le formule Tiberghien, sont « ouvertes sur le monde ».
L’oeuvre de l’architecte Franck Llyod Wright se situe dans cette ligne de pensée anti-conformiste.

Bernard Picon relevait déjà il y a vingt ans, en conclusion de son ouvrage « Les Cabanes de l’entre-deux-monde » que les cabanes étaient des objets indisciplinés, et évoque leur aspect politique.
«Ceux qui, comme de mauvais élèves, les édifient et les occupent se jouent des règles, des normes, des catégories, des clivages communément admis dans les sociétés modernes », ajoutait-il, précisant qu’« en ce sens, les cabanes peuvent s’interpréter comme des manifestations de résistance passive aux formes sociales contemporaines».
Un objet politique ?
« Ces espaces critiques que sont les cabanes, on les retrouve dans le contexte des luttes sociales qui agitent le monde aujourd’hui », relève aussi Gilles A. Tiberghien.
La cabane est donc aussi un geste, incarnation d’un idéal politique, d’un retour vers une simplicité non corrompue sans pour autant être précaire. Cette simplicité est paradoxale car elle implique un geste qui la dépasse.
Nous traversons une période de crise sanitaire, une période traversée de peurs, mais aussi de prises de conscience (espérons-le), notamment celle de l’urgence écologique, qui a redonné de la vigueur et du sens aux cabanes. Le fait de construire des cabanes sur les ZAD est une bonne illustration de la contestation de l’exploitation de la nature.

Jean-Baptiste de Montvalon, à propos des cabanes de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le Monde, 08/09/2018, (article ici)
« Elles sont des ouvrages collectifs, produits selon une économie non marchande basée sur la récupération, le troc et l’autoconstruction. Elles se veulent un modèle de sobriété économique, légères et démontables, répondant au mieux aux enjeux écologiques. Mais on y trouve aussi une grande inventivité formelle et les traces d’un savoir-faire technique indéniable, notamment dans le travail du bois. »
Un geste politique, et collectif
Dans la ZAD, note l’historien de l’art Julien Zerbone dans la revue 303, « la cabane est conçue, préparée, construite collectivement en assemblant les compétences, les disponibilités, les matériaux, le chantier devenant à la fois le résultat et le moyen de “faire” communauté ».
« En passant ainsi de l’individuel au collectif, la cabane a encore fait preuve de sa grande malléabilité. Et de sa force. « Les cabanes ignorent les catégories juridiques du bâti et du non bâti, du dedans et du dehors, du naturel et de l’artificiel. Elles relèvent de l’insupportable univers du flou », relevait Bernard Picon. Le sociologue soulignait la « puissance métaphorique considérable » de la cabane, « à la fois image de résistance aux multiples fractures contemporaines et parabole réunificatrice ». Ce qui, au regard de son apparence si modeste et fragile, constitue sans doute son ultime paradoxe. » Jean-Baptiste de Montvalon
Pour défendre d’autres manières d’habiter, en collectif : article de Marsactu
« Habiter une cabane, habiter les ZAD, c’est faire de la politique avec son corps »
Jonas Marpot, dans « Hommage aux cabanes, symboles de la ZAD de Notre-Dame-des- Landes », septembre 2018, Reporterre.net
- Présentation du film par ses auteurs :
« Les fameuses cabanes de la Zad Notre-Dame-des-Landes sont un symbole fort de la lutte victorieuse contre le projet d’aéroport. Au printemps 2018, le gouvernement a fait le choix de l’autoritarisme pour en détruire une partie avec l’aide de 2.500 gendarmes mobiles usant de drones, de milliers de grenades, de tanks, de flash-ball… Cette opération sous le feu des projecteurs, montre bien l’incapacité des dirigeants à envisager la question écologique par le prisme des solidarités et de la sobriété. Pourtant, il n’a jamais été aussi urgent de changer de modes de vie, de production ou de construction. La planète montre des signes inquiétant de faiblesses et face à la nécessité d’accueil, l’Europe se replie. » Jonas Marpot et le comité de soutien Défendre Habiter la Zad, 2018
Une ZAD (éphémère) à La Plaine, Marseille
Voir l’article de Reporterre